Félix Jean-Baptiste Keichinger, les années françaises (1919-1940)
En 1919, les allemands, qui avaient souvent occupé les postes supérieurs des administrations et de l'industrie, furent expulsés de l'Alsace et de la Moselle redevenues françaises. Commença alors la belle carrière de Félix, grâce à son expérience des affaires administratives et à sa bonne connaissance de la langue française (1). La famille Keichinger habite Uckange de 1920 jusqu'en 1925. Leur fils aîné Jean-Baptiste y décède le 21 février 1920, âgé de dix ans, soit des suites d'une méningite (2), soit d'une tuberculose pulmonaire dite " phtisie galopante " (1).
Après le décès de son père, Félix fut progressivement appelé Jean-Baptiste, également surnommé Nonon par ses neveux et nièces (1). Jean-Baptiste était très sérieux et ponctuel dans son travail. Dans sa vie privée, il aimait par contre rire et faire rire. Il était accoutumé des blagues, farces et taquineries. Il ne souhaitait jamais être blessant avec les autres et avait beaucoup d'humour sur lui-même (1). Sa femme était souvent la cible de ses plaisanteries mais elle en riait généralement de bon cœur. Néanmoins, après la première guerre mondiale, Elli avait pris la décision d'apprendre le français. Avant de faire ses courses, elle demandait à son mari de lui répéter un certain nombre de phrases qu'elle apprenait par coeur. Mais en " récitant " dans les commerces, elle ne provoquait que l'hilarité des commerçants devant la bizarrerie de ce qu'elle racontait (1). L'expérience fut donc arrêtée et les connaissances en français d'Elli restèrent rudimentaires.
Félix, sa femme Elli et leur fils Nicolas dans le jardin de leur maison d’Audin-le-Tiche en 1926
Le couple Keichinger s'entendait visiblement bien et donnait l'impression d'un couple unit par un amour profond. Elli se sentait heureuse, protégée et gâtée par son mari et Félix appréciait ses qualités de bonne ménagère et de maîtresse de maison, ainsi que la gaieté et le dévouement de sa femme. Il tolérait avec humour sa tendance au perfectionnisme (1). Jean-Baptiste et tous les cheminots d’Alsace-Moselle sont intégrés au sein d’une entreprise publique : le “réseau A-L” en préservant ainsi leur statut particulier. La famille Keichinger quitte Uckange vers 1925. Jean-Baptiste devient sous-chef de gare (1) à Audun-le-Tiche (Moselle) jusqu'au 31 mai 1932. En 1932, il est devenu président d'honneur de la " société " d'Audun-le-Tiche.
Photo de famille en juillet 1926. De gauche à droite : Félix Keichinger, Elli Keichinger, sans doute une nièce d’Elli, Nicolas Kayser, Nicolas Keichinger, Catherine Godar-Kayser, Maria Godar-Bemtchen, Anna Godar, Otto le fiancé d’Anna, Josy Bemtchen, les deux enfants au premier rang : sans doute une petite-nièce d’Elli, Antoinette Bemtchen.
Travaux de jardinage en juillet 1928 dans le jardin d’Audun-le-Tiche
Félix Jean-Baptiste vers 1930
Dans les années 30, Félix et son fils Nicolas firent encore une blague qui resta dans les mémoires. Elli partie tôt pour participer à un pèlerinage organisé par la paroisse, les deux hommes s'ingénièrent à mettre l'appartement sans dessus dessous pour le seul plaisir de voir le comportement de la maîtresse de maison, qui, après avoir ouvert la porte d'entrée, les yeux et la bouche grands ouverts, les mains levées au ciel, ne savait que dire. Le tout s'est terminé par un immense éclat de rire général et l'empressement de tout le monde à rendre le logement de nouveau habitable (1). Un grand sujet d'hilarité était ses exploits lors de leurs voyages en chemin de fer. Lors de retours de voyage où il fallait prendre une correspondance, il s'amusait parfois à reprendre la ligne ferroviaire dans l'autre sens et à se retrouver ainsi à son point de départ (par exemple entre Uckange, Thionville et Fontoy où le voyage se terminait à … Uckange !). Un autre exemple est celui d'un retour de Rehlingen qui se termina dans la nuit au Luxembourg au lieu de la Moselle. Les Bemtchen à Strassen furent ainsi réveillés par des cailloux envoyés dans les volets du 1er étage par les Keichinger qui cherchaient asile pour la nuit (1) !
Le trois août 1930 dans le jardin d’Audun-le-Tiche
Le couple avait tout fait pour assurer une scolarité de qualité à leur fils Nicolas. Celui-ci qui était dans ses jeunes années un élève extrêmement médiocre devint progressivement un brillant étudiant à l'école d'ingénieurs d'Erquelinnes en Belgique. Cette école avait un coût important. Le couple habitant un logement de fonction, l'acquisition d'une maison fut reportée pour la mise à la retraite de Félix. Les parents espéraient que Nicolas à l'issue de ses études et de son service militaire les aiderait pendant quelques années à augmenter leurs économies grâce à un salaire confortable (1). Ce fut effectivement le cas jusqu'à son mariage en 1937. Félix devient chef de gare (4e échelon) à Fontoy (Moselle) le 1er juin 1932. Lorsqu'il devient chef de gare, le niveau de vie du couple s'éleva. Elli prit alors une femme de ménage à son service qui devint également son amie. Il s'agit de Mme Ludwig qui joua un rôle dans les évènements dramatiques de mai 1940.
A Fontoy en face de la gare, Félix entretenait un petit enclos avec un poulailler. Il était heureux de pouvoir y élever des poules et des poulets. Le soir, à l'heure où le poulailler devait être fermé, il se tenait à côté de l'échelle et chaque volaille s'arrêtait devant l'entrée et ne rentrait qu'après avoir été caressée par son patron (1). Jean-Baptiste se nourrissait tous les soirs d'une omelette de six œufs (2) ! La Marraine qui avait la main verte s'occupait des fleurs et des plantes d'intérieur pendant que son mari gérait le potager (2).
Août 1939 : Félix Jean-Baptiste, son fils Nicolas et sa petite-fille Nicole s’amusant avec les poules à Fontoy
Août 1939 : la famille Keichinger avec Nicole à Fontoy
Jean-Baptiste reste en poste à Fontoy jusqu'à sa mise à la retraite le 1er mai 1940. Le couple a alors le projet de déménager dans les semaines qui suivent afin de louer une petite maison dans le village d'Aubréville (département de la Meuse). Malheureusement la France vit alors la " drôle de guerre " et la Wehrmacht passe à l'attaque le vendredi 10 mai 1940 en envahissant le territoire de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. La Bataille de France commence le même jour avec des bombardements sur notre territoire. La gare de Fontoy est notamment bombardée, visiblement sans dégât majeur sur le bâtiment en lui-même. Préférant quitter ce site exposé, Jean-Baptiste et Elli hâtent leur déménagement et chargent le samedi 11 mai avec l'aide de M. et Mme. Ludwig l'essentiel de leurs meubles dans un wagon de marchandise pour être livrés à Aubréville (2). Le lendemain, le dimanche 12, le reste des effets personnels est chargé dans une camionnette et une voiture, avec l'aide de M. Ludwig. Le convoi prend la route pour Aubréville : M. Ludwig conduit la camionnette avec Félix Keichinger à ses côtés alors que Mme Ludwig est la conductrice de la voiture accompagnée d'Elisabeth Keichinger.
Les 90 premiers kilomètres du voyage s'effectuent sans encombre ; les deux véhicules passent Verdun puis suivent la route Nationale 3. Juste avant de pénétrer dans le village de Parois, deux kilomètres avant de quitter la Nationale et à 5 kilomètres de leur but, les malheureux ont la malchance de croiser le vol d'un groupe d'avions sur la route de Verdun à Saint Menchould. D'après les évènements, les avions en question ne peuvent être que des Junkers 87 B "Stuka", bombardiers légers utilisés durant la Bataille de France, notamment pour leur grande précision de bombardement en piqué sur les convois. Ces modèles étaient équipés d'une bombe de 250 ou de 500 kg et de 4 bombes de 50 kg, type SC 50.
Août 1939 : la famille Keichinger sur les bords de la Moselle
Lettre envoyée le 13 juin, lendemain du drame, par Elli à son fils Nicolas
Sources familiales : 1 : Antoinette, Jean et Félicie Bemtgen, nièces et neveux de Félix, notamment à partir des souvenirs de leur mère Marie Keichinger 2 : Nicole Morel, petite-fille de Félix Jean-Baptiste Keichinger, d’après les souvenirs d’Elisabeth Roth, épouse de Félix
Formation de Junkers 87 B “Stucka”
[./indexpag.html]
[./felix_keichinger__les_annees_francaisespag.html]
Elli écrit le lendemain à son fils Nicolas qui travaille à Paris. Elle est totalement désemparée et elle indique ne pouvoir se " maintenir " que grâce à la bonté des habitants d'Aubréville. Le wagon de meubles arrive également le même jour à 13 h à Aubréville où il n'est pas déchargé. Il repart le 3 juin à 11h et arrive le 6 en gare du Raincy après une demande d'intervention de son fils Nicolas, ingénieur à la SNCF auprès du directeur des chemins de fer, région de l'Est. Elli doit alors se réfugier à Paris où vit son fils Nicolas. Une nouvelle difficulté se fait alors jour : elle est d'origine allemande, et même si elle est devenue française en 1919, elle ne parle toujours pas français en 1940. Elle a donc effectué son exode jusqu'à Paris seule en utilisant le train et des indications envoyées par courrier par son fils. Elisabeth semble arriver chez son fils au Raincy vers le 25 mai 1940.
La voiture est en tête, suivie à une centaine de mètres de la camionnette. Un des avions lâche une bombe SC 50 qui touche la camionnette. Elisabeth Keichinger revient sur ses pas et trouve les deux hommes morts, M. Ludwig sans blessure apparente alors que Félix Keichinger a eu la calotte crânienne arrachée par l'impact (2). Les corps des deux hommes sont placés dans la mairie d'Aubréville.
Site du drame, situé avant l’entrée du village de Parois. On aperçoit sur la droite la ligne de chemin de fer que devait suivre le Stuka. Cliché novembre 2007
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