Félix Jean-Baptiste Keichinger, les années allemandes 1881-1919
Félix en période de manoeuvres dans son unité de chemin de fer (accroupi au premier rang à droite) à Berlin le 4 décembre 1908. Sur cette carte postale envoyée à ses parents, Félix indique qu'il sera " libéré " le 17 du même mois et envoi son bonjour à Elli.
[
./anne_paulypag.html]
[
./jean_baptiste_keichingerpag.html]
Jean-Baptiste, dit Félix, Keichinger est né au domicile de ses parents Anna Pauly et Jean-Baptiste Keichinger à Uckange (Uckingen - Lothringen) le 7 septembre 1881 à quatre heures du matin. Il grandit dans cette ville au sein d’une famille catholique pratiquante. Sa langue maternelle est le Francique luxembourgeois, ainsi que le Français que ses parents parlaient dans leur ménage (1). Félix apprend également l'Allemand au cours de sa scolarité. Sa mère, surnommée la petite marraine, était visiblement possessive et empêchait son fils de sortir avec des amis jusqu'à sa majorité (2).
Félix et sa soeur Marie vers 1888
Félix vit à Uckange jusqu'en 1903, date à laquelle il effectue son service militaire dans la région de Berlin dans un régiment des chemins de fer (Eisenbahn Regiment Nr. 3), à un poste de télégraphiste. Son cantonnement était situé à Sperenberg à 40 km de Berlin.
Le registre d'enrôlement de l'armée allemande (5) indique les renseignements suivants concernant Félix : taille 1m68, poids 58,5 kg, acuité visuelle de 5/5, aucun défaut corporel. On sait également que Félix avait les yeux gris-bleu (3). Durant l'année 1904, Félix, désigné sous le prénom de Johann, est hospitalisé au Lazaret de la garnison pour des douleurs de l'oreille interne, puis il attrape une scarlatine avec une fièvre élevée. Il est libéré de ses obligations militaires le 28 septembre 1905.
Dans les documents conservés, Félix donne l’image d’un individu bien intégré au sein du Reich allemand, comme c’était souvent le cas des jeunes générations en Moselle et en Alsace (7). Les nombreux souvenirs conservés de son service militaire, dont certaines photographies encadrées qui ornaient la maison familiale, montrent que Félix avait gardé une certaine fierté de cette période de sa vie.
Félix vers 1900
Félix en uniforme de parade de l’Eisenbahn à Berlin en 1903 (photographie colorisée)
Carte postale envoyée de Berlin le 26 mai 1904 par Félix à ses parents, représentant le Kaiser et le Kronprinz.
Carte postale envoyée par Félix à sa famille le 9 avril 1904, représentant la caserne de Sperenberg près de Berlin
Carte postale envoyée le 4 juillet 1905 par Félix (situé à l’extrême-droite de la photo) à ses parents et représentant son groupe de télégraphistes.
A son retour à Uckange le 2 octobre 1905, Félix devient employé des chemins de fer du Reichsland pour la région de Thionville (Kreis de Diedenhoffen) ce qui équivaut à un statut d’employé de l’Etat (8). Il est tout d’abord affecté à un emploi subalterne de poseur de voies (1) (Rottenarbeiter) en classification (Absteilung) A, classe de salaire IV. Il passe en classification B, classe de salaire IV le 5 février 1906, puis en classe de salaire V le 3 février 1908. Un de ses chefs allemands, ayant constaté que Félix possédait une belle écriture, lui confia des travaux de bureau. Le jeune homme se montra intelligent et à la hauteur de cette tâche (1).
Le meilleur ami de Félix était un nommé Eugène Strohmann (1882-1958), natif d’Uckange et également employé des chemins de fer (4). Eugène avait rencontré une jeune fille, Elisabeth Roth, belle-sœur du chef de service qui avait remarqué Félix. Cette jeune Sarroise originaire de Rehlingen rendait régulièrement visite à sa sœur à Uckange. Eugène eut l'étrange idée de demander à Félix de l'accompagner pour conquérir Elisabeth. Malheureusement pour lui, la jeune fille ne s'intéressa qu'à Félix (1). Dans une lettre datée du printemps 1908, Elisabeth indique à Félix que ses parents se réjouiraient de sa visite pour la Pentecôte. Félix et Elisabeth (ou Elli), alors enceinte de plus de quatre mois, se marient le 3 février 1909 à Rehlingen. Sur l'acte de mariage, il est indiqué que Félix est aiguilleur. Félix surnommait sa femme sa chère " Schwärzchen " (sa petite noire) d'un surnom qu'employait auparavant son beau-père Friedrich Wilhelm Roth avec sa fille (1).
Félix et Elisabeth vers 1910
De 1909 jusqu'au minimum en 1911, Félix est employé à la Gare de Peltre (Moselle). A cette période, les cheminots disposaient de nombreux avantages sociaux, notamment un service médical gratuit et parfois l’attribution d’une habitation (8). Les logements cheminots étaient généralement complétés par une remise permettant l’installation d’une basse-cour, ainsi que par un lopin de terre que la famille pouvait cultiver (8). C’était effectivement le cas pour la famille Keichinger où Elisabeth s’occupait notamment du jardin.
A cette époque, le ménage Keichinger reste modeste, les revenus ne permettent par exemple pas d'acheter de la viande tous les jours (1). Leur premier enfant Jean-Baptiste, surnommé Batilé (1), naît le 23 juin 1909. Nicolas, surnommé Niachen (" petit Nicolas "), naît le 21 juillet 1911.
La famille possédait également une chèvre. Nicolas a été " élevé " au lait de chèvre et plus tard il se promenait avec sa chèvre qui le suivait comme un chien (2).
Pendant la première guerre mondiale, Félix est appelé sous les drapeaux en tant qu'employé du chemin de fer (Eisenbahn Regiment) sur le front oriental.
Il travaille en 1915 et durant la première moitié de l'année 1916 sur le chantier du "Feldmarschall Hindenburg Brücke" sur la rivière Dubissa (actuellement Dubysa en Lituanie). Il s'agit d'un énorme viaduc ferroviaire situé à une centaine de kilomètres au nord -ouest de Vilnius, réalisé par les " Eisenbahnpionier " pour la ligne de guerre Tilsit-Schaulen (plus précisement vers Radziwilischki).
Les deux photos suivantes étaient conservées par Félix. Elles ont pour sujet le “Feldmarschall Hindenburg Brücke”, pont à la construction duquel il avait participé.
La première photo est celle de l’inauguration du pont, probablement le 25 mai 1916. Sur cette photo apparaissent (dans le rectangle noir) les généraux Hindenburg et Ludendorff, chefs d’Etat-major de l’armée allemande sur le front oriental. Il est possible que le Kaiser lui-même soit présent sur cette photographie.
Félix est en poste en août 1916 à Budi comme sous-assistant, office militaire chargé du fonctionnement des chemins de fer de Poscheruny près de Tilsit, ville de Prusse orientale (actuellement située dans l'enclave russe de Kaliningrad).
Si les militaires du génie n'étaient pas engagés directement dans les combats, leur mission n'était pas pour autant sans danger. Vu l'importance du ravitaillement pour les troupes, les voies ferroviaires étaient exposées aux attaques de l'artillerie ennemie. Les familles le sachant, étaient inquiètes de leur sort. Chaque jour, Elisabeth écrivait à son mari pour le tenir au courant de ce qui se passait à la maison. Félix lui répondait aussi souvent que cela lui était possible (1). Il semble que les troupes allemandes étaient en bonne entente avec les habitants des régions concernées par les combats. Il s'agissait de simples paysans qui leur vendaient même des vivres qu'il pouvait envoyer en Allemagne où ils devenaient de plus en plus rares, de même que les médicaments. Elisabeth en fit l'expérience puisque ses deux fils tombèrent gravement malades durant la guerre au point que le médecin ne pouvait pas garantir leur guérison, même si finalement ils surmontèrent leur affection (1). Elli et ses deux enfants habitent Philippsbourg (Moselle) en août 1916.
Félix (deuxième en partant de la droite) en compagnie de militaires et d’employés du chemin de fer allemand en août 1916 devant la gare de Budi.
Après l'armistice, la famille Keichinger, notamment son père Jean-Baptiste alors très malade, restent dans la crainte, sans nouvelles de Félix. En effet, dans le désordre général et l'état de guerre civile qui règne alors en Allemagne, les employés du chemin de fer devaient assurer la retraite et le transport des troupes. Jean-Baptiste décède le 7 décembre 1918 alors que Félix n’arrive finalement à Uckange que le lendemain ou le surlendemain pour constater le décès de son père (6) !
Sources familiales :
1 : Antoinette, Jean et Félicie Bemtgen, nièces et neveux de Félix
2 : Nicole Morel, petite-fille de Félix Jean-Baptiste Keichinger
3 : Elisabeth Roth, épouse de Félix
4 : Pierre-Jean Strohmann, petit-cousin d’Eugène Strohmann
Sources de l'Etat-civil :
5 : Archives départementales de la Moselle, dossier 12AL63 : documents militaires de l'armée allemande, Vorstellungslisten des Kreises Diedenhofen West für 1903 - n°398
6 : Etat-civil de la commune d’Uckange
Bibliographie générale :
7 : Wahl A. , Richez J.C. (1994) L’Alsace entre France et Allemagne 1850 - 1950, Hachette, Paris, p.8
8 : Wahl A. , Richez J.C. (1994) L’Alsace entre France et Allemagne 1850 - 1950, Hachette, Paris, p.76
9 : A.Clark (1971) The eastern front 1914-18 : suicide of the Empires
Photo de ses deux fils Nicolas et Jean-Baptiste que Félix conservait sur lui au front
Des soldats allemands rapatriés de Russie en fin d’année 1918.
© The trustees of the Imperial War Museum, Londres
[
./indexpag.html]
[
./felix_keichinger__les_annees_francaisespag.html]
Suite de la biographie de Félix ... les années françaises
[
./felix_keichinger__les_annees_allemandespag.html]
En juin 1912, Félix se trouve en instruction militaire au sein de son Eisenbahn pionier Regiment à Hanau, ville située à l'est de Francfort. Durant cette période, longue sans doute de plusieurs semaines, Elli séjourne avec ses deux enfants chez sa mère Katharina, veuve depuis février 1912, à Rehlingen.
Le chemin de fer constitue durant la première guerre mondiale une arme nouvelle et décisive. Il permet la mobilisation, le déplacement et la concentration des troupes d’une façon rapide. Le réseau ferré a donc été fortement développé en Allemagne, notamment en Prusse Orientale (9).
Félix arbore une décoration sur l’épaule droite. Il s’agit d’un “Schützenschur”, sorte d’équivalent de la fourragère française. Cette décoration était attribuée aux meilleurs tireurs d’une compagnie.
Le Feldmarschall Hindenburg Brücke sur la rivière Dubissa est le plus grand pont ferroviaire en bois construit par l’armée allemande au cours de la première guerre mondiale.
Il atteignait une longueur de 670 mètres pour une hauteur de 42 mètres. Ses fondations s’enfonçaient de 15 mètres dans le lit de la rivière.
Le pont était composé de six étages de 5,82 m de hauteur chacun. Au total 7.000 m3 ont été utilisés pour sa construction à laquelle 2.000 prisonniers russes ont participé.
[
Web Creator]
[
LMSOFT]